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Haptique : le sens oublié

Souvent réservée aux jeux vidéo de tir en Réalité Virtuelle, et si la technologie haptique permettait plus, beaucoup plus ? Que peut apporter le sens du toucher aux expériences immersives et à la médiation culturelle ? 

C'est lors de l'apéro organisé par la JeDI dans le magnifique cadre du café des frères Prévert, sous le musée Maillol, que j'ai pu assister à une intervention d'Actronika.

 

Spécialisée dans la technologie haptique, cette start-up a comme objectif de démocratiser le toucher dans notre société virtuelle qui semble oublier ce sens pourtant primordial.

Le produit le plus mis en avant par Actronika est le fameux gilet à vibrations, le plus souvent utilisé dans des jeux de tir en Réalité Virtuelle. Vecteur d'immersion dans ce type d'expériences, la technologie haptique n'aurait-elle pas un rôle à jouer dans les expériences immersives ?

Que pourrait-elle apporter à la médiation culturelle ?

Transcender le virtuel

© Actrokina - tous droits réservés
© Orange - tous droits réservés

Imaginez Éternelle Notre-Dame avec la sensation du vent, des échafaudages qui travaillent, de la main sur votre épaule d'un ouvrier qui passe...

Là où le son et le visuel peuvent plonger le spectateur dans un environnement virtuel, tout l'intérêt de l'haptique est d'en briser la frontière numérique.

 

Imaginez une expérience en Réalité Virtuelle dans laquelle nous pourrions sentir les pas d'immenses dinosaures résonner à travers nous ! Imaginez la sensation d'outils d'antan au creux de nos mains et la force nous traverser alors que nous taillons la pierre d'une future cathédrale (oui, Bourges, je pense à toi) !

 

Munis de gilets ou de gants à capteurs, cette expérience prendrait alors pour nous une dimension physique, réelle. Elle réunirait trois des sens les plus importants de l'humain : l'ouïe, la vue, le toucher.

Cette réunion des médias porte un nom dans la recherche, la Multimodality. Elle permet une immersion optimale, faisant croire au cerveau humain qu'il se trouve pleinement dans un univers cohérent, différent du sien. 

 

Concrètement, les équipements de ce type permettent d'agir sur trois paramètres différents :

  • Simuler des températures via la Multimodality (vibrations particulières en plus d'ingrédients visuels et sonores)

  • Faire ressentir au joueur les actions de son environnement (localisation des dégâts, secousses...)

  • Réagir aux actions physiques du joueur (poussée, saisie...)

Ce dernier point est sûrement le plus important : la réponse à l'interaction, ou feedback, est un moteur essentiel pour le joueur. Il se rend compte qu'il n'est plus spectateur, mais acteur de son expérience.

Via l'interaction et l'immersion que peut représenter cette technologie haptique, nous pourrions ainsi, concepteurs, créer chez le joueur la plus formidable des choses : l'émotion.

Dans la médiation et notamment les espaces muséaux, le recours au toucher n'est pas nouveau. 

De nombreux dispositifs ont déjà été mis en place autour de l'haptique. Leur objectif, d'une part, est l'inclusivité. Pouvoir toucher des objets qu'on ne peut habituellement manipuler (imprimés 3D, matière brut) permet d'attirer un public jeune, avide de manipulations et d'interactions. 

On peut retrouver ce genre de dispositif aux quatre coins de la France, du Palais des Beaux-Arts de Lille (toucher des différentes étapes d'une pierre taillée) au château de la Chèze en Ardèche (manipulations interactives, maquettes & jeux). 

L'haptique "traditionnelle" (à l'opposé de l'haptique virtuelle) remplit un second objectif : l'accessibilité. Les personnes malvoyantes, par exemple, nécessitent un travail de médiation particulier. Le toucher peut ici remplacer le rôle de la vision, si le visiteur est correctement guidé à travers l'espace muséal. 

Des réflexions et mises en pratique ont alors lieu, comme au Musée Tinguely, à Bâle, lors de l'exposition "Prière de toucher", en 2016 (8 ans déjà !). On peut notamment y effectuer un parcours les yeux bandés, avec audioguide, en touchant des moulures en plâtre de statues antiques. Outil d'accessibilité ou manière de redéfinir notre rapport à l'art et la culture, l'haptique est donc déjà bien implanté dans ce milieu.

Alors, l'haptique virtuelle peut-elle incarner une extension de ce modèle déjà en place ? Au-delà des expériences de Réalité Virtuelle proposant des manipulations d'œuvres, qui s'avèrerait encore plus immersives avec des gants haptiques (une prochaine fois, Musée Virtuel), une réflexion autour des espaces munis de cette technologie s'impose. Murs composés de capteurs vibrants, gilets réagissant à une ambiance musicale immersive, mobilier interactif... Beaucoup reste à inventer et surtout, à financer. Car si les gilets haptiques sont entrés de manière standardisée dans le monde de l'immersion, le coût de dispositifs plus originaux et adaptés à la médiation culturelle demeure élevé et ceux-ci maintiennent, dans l'esprit des institutions et des collectivités, une position de "gadgets" onéreux.

Et la médiation culturelle ?

© Lille actu - tous droits réservés

Prière de toucher, exposition qui a d'ailleurs fait un passage au Palais des Beaux-Arts de Lille, comme le monde est petit !

© D.R. - tous droits réservés

Autre exemple, la mise en place par l'entreprise Timmpi de gilets haptiques dans de nombreuses structures accueillant des concerts, pour inclure le public sourd ou malentendant

Quel avenir pour l'haptique ?

Le chemin de l'haptique virtuelle vers une démocratisation dans l'esprit de notre société paraît encore long. Si le potentiel est là, les investissements sont peu nombreux dans le secteur de la culture et de l'immersion, et le coût de revient est élevé en France pour les entreprises productrices de ce genre de dispositif.

Espérons que ce rapport change, car le toucher est un sens inévitable à exploiter pour toute expérience désirant faire croire à son joueur, à son spectateur, qu'il est bel est bien présent dans le monde fabuleux qu'elle lui propose.

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